martes, 20 de mayo de 2008

Le talent des autres

Me mère habite dans un des quartiers les plus chics de la ville, dans le dixième étage d’un immeuble avec un concierge déguenillé et des ascenseurs ronronneurs. De ce dixième étage, il y a presque deux décennies, est sauté mon père. Je l’ai vu. Mon père m’a assit dans un fauteuil en cuir pour que je le voyais se tuer. Elle dit que non, qu’il est tombé par accident, mais j’ai assisté du premier rang à son suicide, complètement planifié. Il ouvrit à deux battants la fenêtre du salon et grimpa sur le rebord en s’accrochant aux rideaux (cela explique la déchirure), puis ôta ses lunettes, les lança dans le vide et se précipita derrière elles. Seulement en ce moment je m’inquiétai, je courus vers la fenêtre, je voulus l’aider. Mais mon père était déjà une croix gammée de jambes et de bras contre le trottoir, caché à mes yeux, en partie, par la présence d’un orme sur sa trajectoire descendante. Je vis les lunettes, suspendues d’une branche avec les verres noircis par la lumière du soleil et je ne pus que penser à ces yeux qui m’avaient regardé pour la dernière fois dans le salon de ma maison, avant que les lentilles deviennent obscures et que mon père entre myope dans la mort.

J’avais sept ans, je venais de m’initier au violon et tout le monde m’achetait des disques. « Papa est tombé », j’ai dit à ma mère quand elle est finalement rentrée, et les voisins qui étaient montés pour me consoler se mirent debout en se mordant les lèvres. Elle laissa tomber par terre quelques sacs et courût vers la fenêtre mais on avait déjà embarqué le corps et ses larmes descendirent en vain les dix étages.Puis le chagrin. Mais un chagrin échangé, comme si j’étais le veuf et ma mère l’orpheline. Elle ne savait pas quoi faire, ma mère. Les premiers mois elle se renseigna auprès de tous ceux qui connaissaient le monde. Elle apprit enfin qu’on doit payer l’électricité, l’eau aussi, que la bonne avait un contrat à renouveler et la voiture des besoins mécaniques, légaux et même alimentaires. Par contre elle gardait son ignorance sur l’origine de l’argent, sur le fait que le capital se génère. Pour ma mère les pièces et les billets étaient comme le sang du corps, un flux constant, irréductible, naturel.

Heureusement les différents immeubles qu’on possédait et la probité de notre administrateur nous permis de survivre aisément, jusqu’au point qu’on engagea une deuxième bonne, qui, manque de travail ne faisait que téléphoner et se boucher les oreilles pendant mes heures de répétition. Ma mère la recruta pour occuper la place du patriarche décédé ; pas pour le remplacer dans ses fonctions, pour lui donner conversation ou, qui sait, tenir les comptes, mais directement pour avoir un corps de plus parmi nous, comme un lest qu’empêcherait la maison de s’envoler.